dimanche 29 juin 2014

Le PS renouerait-il avec sa tradition libérale ?

Par GASPARD KOENIG


La semaine dernière, au congrès des professionnels de l'immobilier à Lyon, est apparu au pupitre un homme en colère. Il n'eut pas de mots assez durs contre la loi Alur, pur produit de la pensée collectiviste ; contre les charges sociales, asphyxiantes pour les entreprises ; ni contre le code de l'urbanisme et autres monstres juridiques, inhibiteurs pour l'activité. Le même homme défendait, dans un livre paru il y a quelques années, l'idée que "l'État ne peut pas tout faire", et que la modernité devrait enterrer "la vision d'une social-démocratie classique, fondée sur l'intervention de l'État, par la redistribution et la réglementation". Renseignements pris, ce dangereux libéral n'était autre que Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon et membre du conseil national du Parti socialiste dont il fut un temps le président.
Ce que Gérard Collomb dit tout haut, beaucoup de ses amis le pensent tout bas. Je me suis aventuré récemment en territoire PS, pour découvrir avec ravissement que les équipes de Terra Nova, les jeunes des cabinets, et même de nombreux députés de la majorité dissertent paisiblement - hors micro - sur la mort de l'État-providence, les errements du présidentialisme, le scandale des professions réglementées, l'injustice des retraites par répartition, les dérives mafieuses des syndicats, le drame de la fiscalité, le jacobinisme ringard du système éducatif, la folie du protectionnisme économique, les rigidités de la fonction publique ou l'insoutenable paternalisme des lois de santé publique... 

Une tradition ancrée à gauche

Je ne devrais pas être surpris. Même si elle est peu visible en cette époque d'étatisme débridé, il existe en effet une forte tradition libérale à gauche. Rappelons que les premiers libéraux, comme Frédéric Bastiat ou Alexis de Tocqueville, siégeaient à gauche de l'hémicycle, d'où ils s'opposaient à la droite conservatrice et protectionniste. Qu'il existe au sein du PS, depuis la scission du congrès de Tours, un courant militant pour la concurrence et le libre-échange, cousin de l'ordolibéralisme allemand, et dont Pierre Bérégovoy fut le dernier grand représentant. Que les composantes anarcho-libertaires de la gauche ont toujours alimenté la réflexion sur les libertés individuelles (Jean Jaurès ne voyait-il pas en Proudhon "un grand libéral en même temps qu'un grand socialiste" ?). Et n'est-ce pas en effet l'essence d'une politique de gauche, comme l'expliquait l'économiste Jean-Marc Daniel dans Le Socialisme de l'excellence, que de promouvoir l'innovation contre les rentes, l'émancipation individuelle contre l'État-nounou, l'autogestion contre le dirigisme ?
Aujourd'hui, tous les ingrédients sont en place pour qu'à l'archaïque opposition droite/gauche se substitue celle des Anciens et des Modernes. D'un côté, les planificateurs nostalgiques des Trente Glorieuses, qu'ils se disent gaullistes ou frondeurs ; de l'autre, ceux qui ont pris la mesure de cette "quatrième révolution" de l'État décrite dans le récent livre du rédacteur en chef de The EconomistJohn Micklethwait : un État fort mais au périmètre restreint, sur le modèle suédois, consacrant le triomphe postmoderne de l'autonomie individuelle, de la coopération spontanée et de la décentralisation des processus.
Il est temps d'ôter les masques ! Chers amis libéraux de gauche, regroupez-vous, écrivez des tribunes, affirmez votre voix et vos principes. Au lieu d'embrasser timidement et comme à regret la cause des entreprises, au lieu de vous excuser du (modeste) "virage social-libéral" en invoquant d'ennuyeuses nécessités budgétaires, au lieu de laisser à Bruxelles la responsabilité d'ouvrir à la concurrence les différents secteurs de notre économie, assumez ! Proposez-nous une nouvelle vision de l'individu et de la société! Faites-nous rêver !


Source : le Point

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